Automne 1192
Au petit matin des
soldats mènent Sergeï et Niclaus dans la cour centrale dominée par
le donjon. Avant qu'ils ne puissent faire connaissance avec la vingtaine de
soldats et la douzaine de pisteurs et de chasseurs rassemblés, le
knezi Radoslav Bessarab se présente et en quelques phrases ordonne à
ses hommes d'obéir aux deux nouveaux venus, qui s'attirent ainsi une
certaine inimitié du chevalier qui semblait diriger le groupe. Le
départ, à pied, s'effectue après une courte prière collective
menée par le prêtre orthodoxe, qui en profite pour rassembler ses
ouailles qui suivront la troupe jusqu'à la forêt. Dès le départ,
une tension est palpable entre les chasseurs, menés par le maître
de la vénerie du knezat de Sibiu, Georgiu, et les soldats, menés
par un dur szekler du nom de Janok. Sergeï parlant couramment
l'allemand depuis la troisième croisade où il voyagea en compagnie
des troupes de l'Empereur Frédéric Ier Barberousse. Ne laissant
rien paraître il apprend rapidement que les chasseurs, roumains et
orthodoxes ou païens, et les soldats, szeklers catholiques, se
détestent cordialement et risquent d'en venir aux mains si leur chef
respectif ne calme pas leur élan.
Sur une dernière bénédiction du
prêtre les villageois regagnent leur clairière et leur demeure non
loin de là. Lors de la première veillée, Sergeï sermonne Janok en
allemand, s'attirant un certain respect du chevalier qui concède de
laisser sa chance à Georgiu. Peu de temps avant l'aube, ils sont
réveillés par les cris d'une sentinelle et le camp se met en branle
en quelques instants. Les moqueries des hommes aux propos du garde
qui jure avoir vu un gigantesque loup lui faire face dans la nuit
sont tempérées par les traces découvertes par les chasseurs à
quelques pas du lieu.
Une première journée de
battue s'organise alors, chaque homme à portée de voix du suivant
tandis qu'une poignée de traqueurs prend de l'avance à la recherche
de traces récentes ou de pistes. En fin de journée Niclaus se
souvient d'une vieille histoire sur un temple abandonné dans cette
partie de la forêt et propose d'essayer de le trouver, au moins pour
passer la nuit en dehors de l'atmosphère étouffante des bois. Ils
découvrent en effet un vieux temple dont il ne reste que quelques
vestiges ensevelis sous les mauvaises herbes et les ronces qui occupe une
clairière à plusieurs heures de marche de la lisière de la forêt.
Étrangement de nombreuses sentes y mènent, et des traces
incompréhensibles pour les chasseurs laissent à penser que les
lieux sont souvent visités (certaines traces sont humaines, d'autres
non mais ne peuvent être identifiées...). Fortifiant une petite
partie de la zone à l'aide des murs effondrés, Sergeï et Niclaus
décident de passer la nuit ici avant de se séparer en plusieurs
groupes demain, les traces humaines intriguant le prêtre qui croit à
l'organisation de rituels impies. Il organise une messe à laquelle
participent quelques soldats catholiques et les chasseurs orthodoxes.
Au matin, le chevalier Bessarab part donc vers le nord et la montagne
avec la plupart des chasseurs pour découvrir où se terrent les
loups tandis que Niclaus et quelques hommes suit la sente la plus
récemment empruntée par des voyageurs. A quelques heures de la
clairière ils découvrent un grand trou, à première vue creusée
par une bête et auprès duquel les chasseurs aperçoivent des traces
correspondant à celles des ruines. Intrigués, ils ne peuvent que
rebrousser chemin pour regagner le vieux temple abandonné, craignant
de se retrouver en pleine nuit dans la forêt. Sergeï et ses
pisteurs sont quant à eux intrigués par le grand nombre de traces
de loups, plusieurs meutes, qui semblent aller ou partir de la
montagne. Selon eux les loups sont des créatures hautement
territoriales et un tel comportement est plus qu'étrange.
C'est une paire d'heures
après le crépuscule, dans un campement fortifié par les hommes
restés dans la clairière au cours de la journée, que le mystère
semble s'épaissir encore, et prend une tournure sanglante. Un vieil
homme sort de la forêt et se dresse à la limite de la zone éclairée
par les feux de la troupe. Une discussion s'engage avec Sergeï et
Niclaus. Ces derniers sont invités à quitter ces lieux où ils ne
sont pas les bienvenus, le vieil homme parlant des « autres » qui
seront bien moins disposés que lui à leur arrivée. Irrités par
les propos incohérents et menaçants du voyageur, ils le font saisir
par deux gardes et conduire auprès du feu où il continuera à
éluder leurs questions et leur conseiller de fuir « leur » lieu de
réunion. Il affirme connaître la maitresse des loups mais n'avoir
rien à faire avec elle. Il sourit aux questions des deux hommes, et
semble en savoir bien plus que ce qu'il accepte d'en dire. Alors que
Niclaus se décide à employer la question sur celui qui semble
clairement un ennemi de sa foi, un hurlement sans nom résonne dans
la forêt puis se rapproche. C'est une créature atroce, digne des
cauchemars d'un blasphémateur dément, qui apparaît à la lisière
de la lumière. Immense, près de trois mètres, son torse hideux est
déformé par une gigantesque gueule emplie de crocs. Quatre bras
musculeux terminés par des griffes acérées en jaillissent selon
des angles improbables. Un long museau empli de dents affûtées
achève une grosse tête difforme. L'arrivée du démon, car pour les
hommes apeurés il ne peut s'agir que d'une créature de l'enfer,
coïncide avec le début d'une vieille légende roumaine fredonnée à
voix basse par le vieil homme. Elle raconte la disparition d'un frère
et d'une sœur dans une sombre forêt par une nuit sans lune.
Comprenant le lien entre
la créature et le vieux fou, Sergeï et Niclaus le conduisent à la
lisière de la ligne de soldats, menaçant de l'abattre si elle ne
quitte pas les lieux. L'intimidation semble inefficace et le vieil
homme qui disait se nommer Paul continua son histoire sans trembler,
parvenant à la disparition des parents, partis à la recherche de
leurs enfants malgré les conseils des anciens du village. Une volée
de flèches, qui n'a pas plus d'effets que quelques piqûres de
moustiques, ne modifie pas plus la situation, si ce n'est en attisant
un vent de panique parmi les chasseurs. Une seconde créature sort
alors des arbres, plus petite que la première et dotée de seulement
deux bras, mais tout aussi monstrueuse. Le vieil homme parvient enfin
à la fin de son récit malgré plusieurs coups d'épée de Sergeï
qui semble incapable de le blesser. Le dernier estoc, en désespoir
de cause, aurait du lui trancher la gorge et l'abattre mais il
continua à fredonner, son horrible plaie se refermant au rythme de
la disparition des chasseurs partis quérir la famille disparue
malgré les conseils des anciens du village. Se défaisant sans
difficulté des liens qui lui maintenaient les bras dans le dos, il
rejoint la plus impressionnante des créatures, donnant une dernière
chance aux malchanceux venus déranger les lieux de les quitter.
Malheureusement les imprécations du prêtre appelant à détruire
les démons et l'indécision de Sergeï poussèrent une dizaine de
soldats menés par Janok à le rejoindre et à se préparer au combat
tandis que le reste de la troupe se préparait à fuir. Sergeï et
Niclaus reculèrent prudemment, entourés par quelques guerriers, et
sur place personne ne resta assez longtemps pour voir la
demi-douzaine de soldats se faire déchiqueter par les monstruosités
mais leurs hurlements résonnèrent longtemps entre les arbres et
dans la forêt. Niclaus se rappellera le lendemain qu'il s'agissait
tous de fervents catholiques...
La fuite à travers la
forêt les conduisit jusqu'aux pieds des montagnes de Făgăras, le
long de nombreuses sentes creusées par les loups. La végétation
changeait peu à peu, de moins en moins d'arbres bloquant les lignes
de vue, un sol plus pauvre, plus caillouteux. Une grande
anfractuosité dans la roche semblait la destination de toutes les
pistes animales, et une forte odeur de fauve indiqua aux chasseurs
qu'ils avaient atteint leur destination. Prêts à s'enfoncer avec
quelques gardes dans les ténèbres, Sergeï et Niclaus sont arrêtés
par Georgiu qui leur conseille de bâtir un grand bûcher à l'entrée
de la grotte et d'enfumer les créatures de la nuit qui s'y reposent.
A l'aide de buissons et de petits arbustes, les soldats obstruent
l'entrée et y boutent feu, entretenant le brasier pendant de longues
heures. De nombreux hurlements d'agonie résonnent pendant des heures
et lorsque les hommes pénètrent enfin dans les profondeurs de la
terre, ils découvrent de nombreux cadavres de loups, mais aucune
trace de cette fameuse vieille femme qui guiderait leurs assauts.
Leur mission accomplie, les hommes récupèrent chacun une belle peau
afin de conserver un souvenir victorieux de ces étranges nuits.
Malgré les pertes, le moral est bon lorsque la troupe reprend le
chemin de Sibiu.
Hélas la nuit arrive
vite, et avec elle un hurlement de loup puissant et sinistre qui
semble résonner depuis la crevasse qu'ils ont quitté plus tôt dans
la journée. Une zone de forêt un peu moins de touffue permet de
dresser un campement pour la nuit, mais trop vite une créature rode
aux alentours. L'attaque est soudaine et en quelques minutes
plusieurs hommes sont blessés, sans que nul ne puisse discerner plus
qu'un gigantesque loup noir. Ses hurlements résonnent bientôt dans
toute la forêt, et la crainte des hommes semble s'exaucer quand de
nombreux autres lui répondent. Sergeï et Niclaus organisent la
défense du petit périmètre mais les assauts vicieux des loups
alliés à l'obscurité et à l'hostilité de la forêt rendent leurs
efforts vains. Peu à peu leurs lignes de défense se délitent ,
certains fuient ou se réfugient dans les arbres. Sergeï se bat
comme un lion, mais acculé, il est finalement blessé. Les prières
de Niclaus alliées à de solides coups de bâton ne lui épargnent
pas le même sort. Tout semblait désormais perdu.
Une femme vêtue d'un
grand manteau noir sorti de la noirceur des bois et pénétra le
campement dévasté, le visage dissimulé par les ombres de sa
capuche. Elle accusa le groupe de survivants d'être responsable de
la mort de ses enfants et insista pour disposer d'un coupable. Choqué
et blessé, le prêtre se désigna ou fut désigné [note du Conteur
: je ne me souviens plus si c'est elle qui désigne le prêtre ou si
ce dernier se « sacrifie » pour le groupe].
Intermède [Niclaus]:
La maîtresse des loups entraîne le saint homme dans les profondeurs
de la forêt où elle le questionne sur sa foi, interrogeant sa
vision du monde et de l'Eglise. Il ne cessera de prier tout au long
du monologue de la créature au visage ravagé.
« Dis-moi si ton Dieu
Crucifié peut faire ça... » [elle se métamorphose en loup à la
suite de sa question]
« Suis-je un démon
ou suis-je maudit pour ressembler à cela mon père, moi qui n'ai
jamais que protégé les miens lorsque j'étais en vie ? » [elle
reprend sa forme humaine dévastée pour poser sa question]
« Les disciples de
Rome ont brûlé ma maison et ma mère car elle ne voulait pas
communier avec ces monstres. Dois-je te remercier et tendre l'autre
joue désormais ? »
« Tu as survécu à
cette nuit petit prêtre, et tu m'as impressionné comme jadis mon
Sire fut impressionné par la jeune fille innocente et courageuse que
j'étais. Je te laisse regagner ton village, qui sera désormais
épargné par les miens. Demande moi à Hermannstadt, au Dulapuri
derrière la place Dragoner. Appelle Marushka et je viendrais à toi.
Va en paix, enfant. »
Hébété, Niclaus ne
résiste pas lorsqu'elle déchire son poignet de ses crocs inhumains
et laisse couler un filet de sang dans sa gorge. Étrangement, il se
sent prit d'une intense affection pour cette femme courageuse abîmée
par la vie et les événements. Alors qu'il tente de regagner le bien
peu fiable abri composé par ses compagnons il sent sa blessure qui
s’apaise, le sang cesse de s'en écouler et la chair déchirée
cicatriser. Trop épuisé pour trouver une explication convaincante,
il se met en quête de ses compagnons.
Pour les survivants le
retour est compliqué par les blessures et la terreur encore présente
dans les esprits. Finalement tous parviennent à rejoindre le village
de Niclaus sans autre incident, nul ne comprenant réellement les
tenants et les aboutissants de leur mission dans les bois. Sergeï
découvre avec étonnement que Niclaus a survécu mais ce dernier
refuse de lui parler et se cloître dans sa maison, priant pour le
salut de son âme. Laissant les blessés aux bons soins des paysans,
le chevalier décide de rejoindre Sibiu avec les hommes les plus
vaillants, afin de rendre des comptes au seigneur Radoslav.
Sergeï est reçu par le
sénéchal Stephan et le knezi Radoslav. Son rapport entraîne la
colère de ce dernier qui s'en prend au sénéchal et à Sergeï. Il
quitte la pièce en colère après s'être retenu de peu de frapper
le sénéchal qui essaye de le ramener à la raison.
Intermède [Sergeï] :
A la tombée de la nuit Sergeï est convoqué par le sénéchal qui
le conduit auprès de Vladimir Rustovitch qui lui propose de rentrer
à son service pour garder un œil sur la cité après son départ
vers l'ouest et son domaine. Il lui propose de boire à une coupe
préparée à son intention, et de prêter serment de fidélité au
voïvode. Il reviendra à lui la nuit prochaine et lui demandera de
confirmer son serment. S'il accepte il devra s'intégrer à la
maisonnée du knezi et il accédera alors au destin qu'il attend
depuis des années, la gloire, les honneurs, le pouvoir. Il deviendra
le relais du Voïvode dans la cité, et veillera sur ses intérêts.
La suite...
La suite...
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