lundi 20 mai 2013

Une renaissance dans les ténèbres: Sergeï Bessarab


A la fin du printemps 1194


Une nouvelle fois Sergeï fut convié sur le domaine du Voïvode Vladimir Rustovitch, à Oradea. Minuscule cité bâtie sur la frontière informelle entre la Hongrie occidentale et la Transylvanie, Oradea possédait une atmosphère lourde de peur et de suspicion, et même sa situation géographique n'avait pu développer le commerce ou l'artisanat. Plusieurs puissants Rois de Hongrie y étaient ensevelis, et même leur auguste présence ne pouvait éclairer la sombre existence de ses habitants. Car à quelques lieues de la cité fortifiée se trouvait le château d'une créature de la nuit à la force et la cruauté indicible. Protégé par des monstruosités et de puissants Caïnites lui ayant prêtés allégeance, il ourdissait ses complots centenaires contre ses ennemis, vicieux Tremeres au Sud, orgueilleux Ventrues à l'Ouest, inhumains Tzimisces tout autour de lui.

Sergeï Bessarab fut initié aux secrets de la non-vie et de son Clan, découvrant les particularités des autres lignées comme les mythes et légendes entourant les Enfants de Caïn. Il apprit auprès de son Maître sur la politique des immortels et les querelles ancestrales entres les infants de Tzimisce. Il suivit l'enseignement d'un puissant sorcier, Mikhaïl Antonescu, sur les récits fondateurs du Clan et du mythique Caïn. Il devisa avec l'infante de Rustovitch, Kara Lupescu, de cour mortelle et d'influence sur le Bétail. Il en apprit plus sur la Voie suivie par le Voïvode auprès d'une Prêtresse Livide, la froide Elizaveta. Enfin, il fut considéré comme prêt.

Une noire nuit d'été

Une noire nuit d'été, chaude et étouffante, il fut conduit par Rustovitch jusqu'au cœur d'Oradea, dans la nécropole accueillant les corps de certains des plus grands hommes de Hongrie. Devant la tombe du plus saint d'entre eux, Ladislas Ier, en une parodie de cérémonie mortelle, il s’agenouilla. Il prêta serment d'offrir son bras, son sang et sa vie à son Maître, et ce pour l'éternité. Souriant, Vladimir Rustovitch eut son premier et sans doute dernier geste tendre envers son infant, l'aidant à se relever, avant de plonger ses canines dans sa gorge et de le vider de son fluide vital. La mort enveloppa Sergeï...

Tous les bruits moururent en même temps que son corps, faisant place à un silence tellement suffocant qu'il finit par par noyer le bruit des derniers battements de son cœur. Puis, lorsque le cœur battit pour la dernière fois, fatale et terrible, la nuit l'envahit et le monde sombra littéralement dans les ténèbres. Pourtant il n'était pas seul. Des formes émergeaient autour de lui.

Tous pleuraient des larmes de sang, sa famille, honteuse de ce qu'il était devenu, mais il les rejeta. Ses compagnons de croisade, observant les milliers de corps suppliciés, détournèrent les yeux également. Et il les rejeta. Seul un chevalier à l'étincelante armure noire ne détourna pas les yeux, et s'inclina devant lui, le sang goûtant lentement sur la plate. Il tendit la main dans sa direction, et un feu vif se mit à brûler dans sa poitrine, le forçant à tomber à genoux. Pour la dernière fois. Pour la dernière fois.

Alors que le sang de son Père s'insinuait dans la moindre fibre de son corps, une brûlure démarra au creux de son estomac. Cette douleur ardente déchira le brouillard sanglant autour de lui et l'arracha aux Champs Élyséens. La sensation brûlante devint de plus en plus forte jusqu'à ce que la paix qui l'habitait soit réduite en pièces. Il devint conscient de son corps rigide, devenu froid, lourd comme le marbre et terriblement étranger. Plus terrifiant que tout fut la sensation que son âme était piégée dans ce corps mort. Et la Bête qui renforçait son emprise... Puis, alors que l’Étreinte atteignait sa conclusion effrayante, il poussa un hurlement silencieux, incapable de trouver l'air dans ses poumons morts et ses yeux s'ouvrirent de désespoir. La faible lumière de la nuit l'agressa et il prit conscience de sa faim éternelle, d'une soif désespérée de sang qui l'accompagnerait à jamais.

Il reprit conscience dans un tombeau mais ne prit pas le temps de se soucier des ossements ou des restes de riches tissus. Il bascula la lourde pierre, son esprit violemment focalisé. Se nourrir. Surgissant telle l'incarnation de la mort, il fit face à son père mortel, le triste Bessarab l'ayant humilié et rabaissé toute sa vie. Enchaîné, il le supplia d'épargner sa vie mais le voile rouge couvrait ses yeux, sa Bête contrôlait sa poitrine et rugissant il se jeta sur le supplicié, se nourrissant pour la première fois, avec l'approbation silencieuse de Rustovitch. Puis la douleur revint, d'une violence indescriptible, alors que son corps continuait de mourir, purgeant les déchets inutiles. Il vomit les fluides superflus en de rauques spasmes de mucosités et de biles. Au bout de plusieurs heures ce cette triste renaissance, il put sortir de la tombe, titubant, rejoignant son Père sous la lueur de la Lune.

Sa peau avait prit une pâleur surnaturelle, renforçant la froide austérité de son visage. Ses yeux brillaient d'une passion brute, prédatrice et séduisante, en contraste certain avec sa peau de marbre. Ses ongles avaient durcis, devenant transparents et tranchants tandis que ses gencives se rétractaient, dévoilant des canines acérées... Il regarda la nuit, et sentit les ombres vibrer, abysses sans fond où d'autres horreurs attendent patiemment. Le vent chuchota à son oreille, torturant Sergeï comme les pleurs d'une Banshee, soulignant son changement. Il vit la mort tout autour de lui. Les mortels qui l'attendaient non loin du carrosse devant les ramener au domaine ne semblaient plus solides ou substantiels, mais troubles, leurs vies fragiles, courtes et amères. Les plantes et fleurs lui parurent différentes dans la nuit, leurs couleurs chatoyantes réduites à des teintes de gris et de brun. Et pourtant il se souvenait. Il se souvenait du plaisir du soleil sur sa peau, de la fraternité et de l'amitié virile, de la chaleur d'une putain dans sa couche. Et lorsque les souvenirs revinrent, la poids de la malédiction s'abattit sur lui. Il ouvrit les yeux sur la beauté réelle du monde qu'il venait de quitter, la malédiction de Caïn l'en bannissant à tout jamais.

_Oui mon infant. C'est ainsi que d'être Damné pour l'éternité. Souffrance, mort et désespoir. Mais c'est bien plus pour nous, membres du puissant Clan Tzimisce. Viens, et laisse moi te guider...

Quelques nuits plus tard...

Une antique cérémonie, aussi ancienne que le Clan, et peut-être plus ancienne encore, devait se tenir pour honorer l'infant, et officialiser sa renaissance au sein du Clan comme de l'ensemble de la société Caïnite. A la demande de Sergeï, le Père Niklaus et Dmitri, récemment Étreints également, avaient été conviés. Une vingtaine de vampires avaient été rassemblés, et lorsque le carrosse venu les chercher à Oradea rejoignit la forteresse, ils furent au complet. Les lourdes portes de bois s'ouvrirent sur une grande salle de réception, immense nef largement éclairée de braseros et de chandeliers. Les murs étaient couverts de somptueuses tapisseries représentant des scènes de bataille ou d’événements honorables de la vie nobiliaire. Partout le dragon couronné Tzimisce. La plupart des invités étaient des Démons, mais les sens encore bien jeunes des deux nouveaux-nés purent sans difficulté un Nosferatu n'essayant pas de dissimuler son affreuse apparence.

Sur une estrade de bois noir, le Voïvode Rustovitch trônait sur un massif fauteuil au bois doré à l'or fin. Non loin de lui ils aperçurent Sergeï et discernèrent les profonds changements en lui. Immobile, il attendait. Le seigneur des lieux prit alors la parole, remerciant les présents et expliquant l'importance du rituel à venir. Sa Présence écrasante couvrit la salle de réception, et la plupart des Caïnites présents mirent un genou à terre. Le Père Niklaus et Dmitri restèrent debout, le dos droit, et regardèrent un vampire vêtu d'une étrange robe s'approcher de Sergeï. A gauche et à droite de Vladimir Rustovitch apparurent deux hommes, les torses nus et musculeux, vêtus simplement de pantalons de toiles. Sur un signe du Voïvode leurs visages grimaça, signe annonciateur des changements de leur corps. Ils grossirent et grandirent de manière anormale, devenant en quelques instants des monstruosités de chair, d'os et de crocs.

_Les Zhupan sont arrivés, Michaïl, débute la cérémonie.

Le Caïnite à l'étrange robe tira de ses plis une lourde épée avant de se placer derrière l'infant chevalier. Il invoqua la puissance des esprits de l'air tout en ordonnant à Sergeï de réciter les Traditions de Caïn, sa lame dressée prête à frapper en cas d'erreur. Horrifié, Niklaus et Dmitri virent les robes du sorcier s'agiter sous un vent sorti de nulle part tandis que ses yeux oscillaient entre l'azur d'un matin estival et le bleu nuit d'un froid crépuscule. Mais c'est sa robe, constituée non pas de tissus mais de sa propre chair, qui les fit frémir. Sans écorcher ne serait-ce qu'un mot, Sergeï remplit sa tâche à bien. Invoquant les esprits de la terre, Mikhaïl transmit une lourde urne de cuivre rempli de la terre qui l'avait vu renaître à Sergeï, sa peau se couvrant de petits morceaux de pierre tandis que ses yeux prenaient une profonde couleur ocre.

Invoquant désormais les esprits du feu, Mikhaïl fit signe à deux Caïnites qui s'approchèrent en portant un grand brasero empli de braises rougeoyantes. Une forme sombre était dissimulée à l'intérieur. Sergeï dut enfoncer son bras dans les flammes, concentrant sa volonté et son courage, sa chair noircissant et racornissant avant qu'il ne puisse se saisir d'un médaillon d'acier et d'or représentant le dragon Tzimisce. Le front couvert d'une sueur ensanglantée, l'infant fut soulagé d'entendre Mikhaïl invoquer les esprits de l'eau, et de voir Rustovitch se lever pour lui offrir son sang. Sa main inutilisable guérit peu à peu grâce à la puissance de l'ancienne Vitae, et le chevalier s'inclina devant son Maître.

Citant la cinquième voie, celle dissimulée, Mikhaïl fit s'agenouiller une dernière fois Sergeï afin qu'il récita sa lignée, et entra enfin comme membre de plein droit dans le Clan.

_Mon nom est Sergeï Bessarab, infant de Vladimir Rustovitch, infant de Kosczecsykev, infant de Triglav aux trois têtes, infant de Tzimisce. Par mon sang et mon esprit je jure allégeance à mon Sire et à travers lui au Clan Tzimisce. Que les éléments soient témoin de mon serment !

Félicité en premier par le Voïvode, il reçut l'accolade ou les félicitations de l'ensemble des invités, notamment de ses compagnons. Soulagé, il conduisit Niklaus et Dmitri jusqu'à une salle à manger immense qui le plus que modérément aux deux jeunes vampires. Contre l'un des murs, des dizaines de mortels, hommes, femmes et enfants regardaient horrifiés les Caïnites s'installer. Sur un geste de Rustovitch des serviteurs goules se saisirent du Bétail et l'offrirent en pâture aux créatures de la nuit tandis que Dmitri et Niklaus détournaient les yeux. Dissimulant au mieux leur hostilité, ils raccourcirent leur visite sans insulter leur puissant hôte, souhaitant échapper aux ténèbres des lieux. Satisfait, Vladimir Rustovitch observait son infant se nourrir. Une pion de plus dans sa partie d'échecs contre ses trop nombreux ennemis...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire