A la fin du printemps 1194
Durant de longues nuits
Dmitri fut initié aux secrets de la non-vie et de son Clan,
découvrant les particularités des autres lignées comme les mythes
et légendes entourant les Enfants de Caïn. Il suivit l'enseignement
de Mitru sur les récits fondateurs du Clan et du mythique Caïn. Il
devisa des mortels et d'influence sur le Bétail. Il en apprit plus
sur les Voies, les secrets des Caïnites et la manière de retenir ou
de guider la Bête pour protéger son âme de la damnation. Enfin, il
fut considéré comme prêt.
Une noire nuit d'été
Comme à son habitude,
Mitru n’annonça pas sa venue et Dmitri sentit la présence de la
créature de la nuit dans son dos alors qu'il tisonnait un petit feu
de camp. Il s'attendit à une nouvelle leçon mais le puissant
Gangrel restait silencieux, et le chasseur se tourna vers son Maître,
interrogateur.
_Cette nuit est la
dernière, Dmitri. Cette nuit je te chasserai comme tu n'as jamais
été chassé. Tu peux utiliser toutes les ruses et tous les tours en
ta possession pour m'échapper. Cache-toi. Cours. Combat-moi. Mais
sache que si tu es en ma possession avant le lever du jour, je
briserai ton corps et laisserai la Terre se repaître de ton sang.
Car tu ne seras pas digne... Mais survis, et alors... Tu seras des
nôtres... Maintenant va, car ton temps est venu !
Alors il courut. Il
courut pour sauver sa vie, dissimulant ses traces de son mieux,
couvrant sa peau de glaise pour masquer son odeur. Il fabriqua des
pièges de bois et de pierre et réalisa de fausses pistes sur les
territoires d'animaux prédateurs. Il s’immergea dans un ruisseau,
seul son visage émergeant des roseaux, guettant le Chasseur. Il
s'enterra profondément, tentant d'endormir son cœur pour escamoter
ses battements aux sens bien trop aiguisés de Mitru. Il utilisa tous
les artifices en sa possession, et découvrit bien de nouvelles
astuces pour protéger sa vie dans une forêt hostile. Et il
survécut. L'aube le trouva suspendu dans un arbre, armé de son seul
couteau, épuisé mais prêt à se défendre chèrement. Il se laissa
tomber au sol et sentant le soleil caresser son visage, il s'endormit
en quelques instants le dos adossé au tronc massif.
Il se réveilla quelques
heures avant le crépuscule et alluma quelques brindilles, observant
les environs et ramassant quelques baies et racines pour se
sustenter. La nuit ne tarda pas à tomber, et frissonnant il vit
Mitru sortir du sol à quelques mètres de lui, son sourire
carnassier luisant à la lueur de la Lune.
_Tu as réussi,
Dmitri. Maintenant, es-tu prêt ?
Son seul regard répondit
au puissant vampire qui se jeta sur lui, et l'immobilisa en quelques
instants. Ses yeux rougeoyant accrochèrent ceux de Dmitri puis son
corps se tendit et les crocs du Caïnite plongèrent dans sa gorge,
aspirant le riche fluide vital. Ses yeux se fermèrent sur une
impression de félicité inégalable.
Tous les bruits moururent
en même temps que son corps, faisant place à un silence tellement
suffocant qu'il finit par par noyer le bruit des derniers battements
de son cœur. Puis, lorsque le cœur bat pour la dernière fois,
fatale et terrible, la nuit l'envahit et le monde sombra
littéralement dans les ténèbres. Pourtant il n'était pas seul.
Des formes émergeaient autour de lui.
Il vit sa femme, tenant
dans ses bras son fils et sa fille, sanglotant des larmes de sang en
le dévisageant. Il vit Sigrid Arpad, implorant son pardon avant de
s'embraser comme une bûche, hurlant de rage et de douleur. Il vit
tous ceux qui avaient traversé sa vie, et lui rendait un dernier
hommage dans sa mort, s'inclinant devant lui. Et soudain il ne fut
plus.
Alors que le sang de son
Père s'insinuait dans la moindre fibre de son corps, une brûlure
démarra au creux de son estomac. Cette douleur ardente déchira le
brouillard sanglant autour de lui et l'arracha aux Champs Élyséens.
La sensation brûlante devint de plus en plus forte jusqu'à ce que
la paix qui l'habitait soit réduite en pièces. Il devint conscient
de son corps rigide, devenu froid, lourd comme le marbre et
terriblement étranger. Plus terrifiant que tout fut la sensation que
son âme était piégée dans ce corps mort. Et la Bête qui
renforçait son emprise... Puis, alors que l’Étreinte atteignait
sa conclusion effrayante, il poussa un hurlement silencieux,
incapable de trouver l'air dans ses poumons morts et ses yeux
s'ouvrirent de désespoir. La faible lumière de la nuit l'agressa et
il prit conscience de sa faim éternelle, d'une soif désespérée de
sang qui l'accompagnerait à jamais.
Il reprit conscience sous
terre, de la glaise plein la bouche mais ne prit pas le temps de sa
situation ou de la pression sur sa poitrine. Il rugit, ses griffes
acérées jaillirent et il creusa comme un fou vers ce qu'il savait
être la surface, la délivrance. Son esprit était rouge. Il hurlait
sa soif de sang, sa soif de vivre. Se nourrir. Surgissant telle
l'incarnation de la mort, couvert de boue, il huma l'air chaud de la
nuit et ses sens aiguisés s'emparèrent d'une image. Deux hommes
autour d'un feu de camp. Odeur de corps mal lavé. Crépitements
d'une bûche dans le feu. Douce vibration de la forêt attentive
autour de lui. Lueur orangée dans le ciel à une lieue. Goût acre
de fumée dans la bouche. Ils étaient loin et des proies animales
étaient proches mais il sentait presque le pouls des deux hommes...
il imaginait déjà la saveur incomparable de leur sang... Il résista
quelques instants mais le voile rouge couvrait ses yeux, sa Bête
contrôlait sa poitrine et rugissant il se jeta à toute vitesse dans
les buissons, courant tel le prédateur qu'il était devenu vers ses
proies. Il jaillit des ténèbres toutes griffes dehors et l'un des
hommes était mort avant que le second ne puisse qu'imaginer réagir.
Se gorgeant de sang il arracha la tête du deuxième malheureux et
reprit conscience peu à peu, sa soif s'apaisant. Il observa ses
mains griffues couvertes de sang et se mit à pleurer. Puis la
douleur revint, d'une violence indescriptible, alors que son corps
continuait de mourir, purgeant les déchets inutiles. Il vomit les
fluides superflus en de rauques spasmes de mucosités et de biles. Au
bout de plusieurs heures ce cette triste renaissance, il fut rejoint
par son Père sous la lueur de la Lune.
Sa peau avait prit une
pâleur surnaturelle, renforçant la froide animalité de son visage.
Ses yeux brillaient d'une passion brute, prédatrice et séduisante,
en contraste certain avec sa peau de marbre. Ses ongles avaient
durcis, devenant transparents et tranchants tandis que ses gencives
se rétractaient, dévoilant des canines acérées... Il regarda la
nuit, et sentit les ombres vibrer, abysses sans fond où d'autres
horreurs attendent patiemment. Le vent chuchota à son oreille,
torturant Sergeï comme les pleurs d'une Banshee, soulignant son
changement. Il vit la mort tout autour de lui. Les animaux qui
tremblaient autour du campement ne semblaient plus solides ou
substantiels, mais troubles, leurs vies fragiles, courtes et amères.
Les plantes et fleurs lui parurent différentes dans la nuit, leurs
couleurs chatoyantes réduites à des teintes de gris et de brun. Et
pourtant il se souvenait. Il se souvenait du plaisir du soleil sur sa
peau, du rire de ses enfants, de la chaleur de sa femme dans sa
couche. Et lorsque les souvenirs revinrent, la poids de la
malédiction s'abattit sur lui. Il ouvrit les yeux sur la beauté
réelle du monde qu'il venait de quitter, la malédiction de Caïn
l'en bannissant à tout jamais.
Mitru l'observait.
Silencieux. Impitoyable.
_Vient infant. Allons
chasser. Tu as beaucoup à apprendre.
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